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Étouffée par l’effréné vrombissant de sa moto, Linda traçait sa voie sur des chemins champêtres du Piémont. Sur son casque se reflétait une nature semblable à la Provence où s’enchaînait à perte de vue lavandes et oliviers. En dépit d'une entame automnale entourant la région, le soleil, tel un infatigable champion de boxe persistait sur le ring et continuer à marteler la jeune conductrice d'uppercuts chaleureux. Sous cette température accablante, les âmes se faisaient effectivement rares. Lorsqu’elle s’arrêta enfin dans un petit village Piémontais, ce constat ne changea guère. La rue dans laquelle elle laissa son casque et sa moto louée était elle-aussi déserte. La finlandaise se demanda un instant si le village dans lequel elle transitait n’était pas abandonné tant la vie y était absente. Pressée par le temps, elle laissa finalement cette question de côté et entama sa marche, bercée par l’unique bourdonnement des mouches.

Après plusieurs pas introductifs sur un vétuste escalier marbré, la jeune femme affronta de ses yeux inexpressifs, la porte d’une petite église baroque. En observant cette façade érodé par le temps, elle comprit aisément que cette bâtisse n’était pas souvent entretenue. Cela dit, peu encline à profiter de cette architecture antique, Linda s’engouffra très rapidement à travers cet accès qui la mena tout d’abord au porche, puis au vestibule. Ses bottine talonnées concédèrent finalement un maigre ralentissement lorsqu’elles foulèrent la nef, lieu où d’ordinaire siégeaient les fidèles pour la messe. Dans ce lieu saint se trouvaient plusieurs rangées de banc attaqués par le lichen. Leur bois craquelant était foudroyé par une lumière solaire qui se faufilait grâce à un trou béant que ne pouvait cacher le toit du bâtiment.

La missionnaire lâcha un court râle et traversa les dalles jusqu’à deux portes incrustés dans les murs de la nef. Bien que faite de bois, elles semblaient avoir évité le sort funeste qui avait été réservé aux bancs et ne comportaient pas de mousse végétale. Sans l’ombre d’une hésitation, Linda ouvrit la porte de gauche et découvrit une cabine où se distinguait un fauteuil étonnamment bien conservé sur lequel elle daigna se poser. Dans le mur qui séparait sa cabine et la cabine droite, se dressait une grillage serrée où seuls les sons pouvaient filtrer. Une premier tirade de sa personne eut d’ailleurs le bonheur de virevolter dans la cabine voisine

— Réjouissez-vous avec ceux qui se réjouissent.
— Pleurez avec ceux qui pleurent. Eut-t-elle droit comme réponse. Elle provenait de la cabine adjacente où semblait siéger un gabarit âgé, compte tenu de la voix rauque et grésillant.
— Mon Père, vous auriez certainement pu vous contenter du cadre habituel pour notre rencontre. Soupira la jeune femme visiblement agacé par tout ce cinéma. Vous m’avez fait parcourir une centaine de kilomètres alors que toute évidence, nous aurions certainement pu discuter à Turin, comme nous avons l’habitude de le faire...

Le religieux tenta d’atténuer les plaintes de la demoiselle en inventant des excuses, mais il ne réussit guère à le faire. Malgré son autorité véritable, il accepta les reproches légitimes de sa subordonnée, qui savait pertinemment que le prêtre avait déplacé le lieu de rendez-vous par pure excentricité. Au sortir des reproches, la finlandaise entra enfin dans le vif du sujet et lui donna un rapport détaillé de sa dernière mission officielle. Celle-ci consistait à propager la parole catholique en Afrique et plus particulièrement à Madagascar. Pour cette mission, elle confirma avoir opérée seule et avoir distribuée l’intégralité des denrées que l’Entreprise lui avait fourni. Même si le phrasé de la demoiselle paraissait longuet, ces mots confirmèrent tout simplement le bon déroulement de la mission.

— Et concernant l’Opération Antsiranana ?
— La branche orthodoxe de ce pays n’a pas montré aucun signe d’activités intéressant malgré les sabotages que j’ai engendré sur l'île. Il me parait improbable que l’Église orthodoxe et de surcroit, la Russie envahisse l’île prochainement.
— Le risque zéro n’existe pas, ma fille. Je vous rappelle que nous avons été pris de court en Hongrie et que ce territoire historiquement catholique est désormais entre les mains de la Russie.
— Pas besoin de me rappeler. Reprit-elle sèchement.

Le religieux, vicieux et plaisantin, avait attaqué quelques rares cordes capables de troubler cet iceberg finlandais. Née d’une mère Hongroise, il avait habilement ravivé le souvenir encore frais de sa génitrice qui avait expulsé un flot inarrêtable de larmes lorsque la nouvelle était tombée. Quand bien même, elle ne connaissait rien de ce pays, le chagrin qui plombait sa mère l'avait particulièrement marqué et elle ne souhaitait guère une telle fin à son pays natal. Indirectement, le Père religieux avait justement rappelé qu’une invasion russe sur le Pays des Mille Lacs, bien qu'improbable restait possible. Et si elle se fichait éperdument du sort de Madagascar, celui de sa chère Finlande était un tout autre débat.

Depuis 2018 et l’annihilation du Pays d’Hollywood, de nombreuses mœurs limitrophes à la Russie vivaient dans la crainte. Pour beaucoup de finlandais (même de religion orthodoxe), dont ses parents entre autres, leur destin était chaque jour sous la menace d’un caprice russe et le monde ne semblait sourciller face à cette catastrophe… si ce n’est l’entreprise humanitaire qu’elle avait rejointe en sortie d’université, il y a une dizaine d’années. Employée comme missionnaire, elle voyageait dans le monde afin de propager une parole catholique, loin des standards orthodoxes prônées par la Russie. Néanmoins, ce combat pacifique n’offrant pas assez de garanties, elle avait entrepris des actions moins glorieuses, pour ne pas dire criminelles afin d’enrayer les velléités expansionnistes de la Russie et il arrivait que cette même entreprise lui propose parfois de discutables missions officieuses.

— Poursuivez votre rapport, ma fille. Déclara gentiment le religieux, alors que le silence commençait à s’installer dans le confessionnal.

Instantanément, la jeune femme retrouva froideur et professionnalisme et détailla avec une exactitude abasourdissante le déroulé de cette mission officieuse, en allant même jusqu’à énoncer d’inutiles précisions. La mémoire de Linda n’était pas forcément meilleure qu’une autre. Simplement, professionnelle, elle était venue préparée et le Père François-Louis n’attendait pas moins d’un élément qu’il avait rigoureusement formé dans la branche principale de l’Entreprise à la survie. En entendant le récit de sa mission à Madagascar, le religieux comprenait comme toujours que les rudes entraînement qu’il avait distillé en matière de combat et discrétion avaient été d’une grande utilité. Et même s’il ne prononça aucune félicitation, il paraissait satisfait par ce rapport complet et savait en outre que la jeune femme avait préparé un rapport écrit dans lequel il pourrait glaner davantage d’informations. De ce fait, il ne la questionna davantage et l’invita à sortir.

— Que Dieu veille sur vous, mon enfant.
— Bien sûr. Rétorqua-t-elle, ironiquement en sortant du confessionnal, pour rappeler implicitement qu'elle ne comptait pas sur une entité mystique pour assurer sa survie.

Laissant le prêtre se prélasser seul dans sa cabine, la finlandaise quitta les lieux et rebroussa chemin jusqu’à la bécane qu’elle avait loué pour la journée. Le soleil se couchant peu à peu, elle ne devait guère trainer. Néanmoins, elle s’accola contre son bolide et passa un appel. Les yeux levés vers le ciel rosé, Linda stoïque attendit une réponse. Quand enfin, une réponse parvint à ses oreilles, ses yeux s’écarquillèrent et retranscrivirent une joie absente de ses lèvres. Dans un ton monotone, presque indifférent, la jeune femme adressa de chaudes salutations.

— C’est moi. Ça va ?

Même si son travail obstruait une grande partie de son calendrier, la finlandaise, fière de ses racines, se démenait pour contacter mensuellement ses parents, cinquantenaires débordant d'énergies. Certes, Muguet ne pouvait se permettre de leur évoquer en profondeur son travail, en cause les activités les plus sordides auxquelles elle participait. Néanmoins, entendre leurs simples voix l’aidait à garder un lien avec ces terres glaciales qui l’avaient vu naître et grandir. De plus, ces appels étaient également l’occasion de recueillir les péripéties qui animaient la vie de ses chères parents. Au terme de cet appel, Muguet avait ainsi appris que son père, écrivain et sportif invétéré, s’était cassé le bras en faisant une mauvaise chute. Par le passé, cet accident s’était déjà produit lorsque son père, de nature bien téméraire avait tenté d’initier sa fille au hockey. Ainsi, face à ce déjà vu, Muguet se retint de relâcher un gloussement moqueur. Pour ce qui est de sa mère, diététicienne pointilleuse sur le bien-être, elle était apparemment parvenue à réaliser un Pot-au-feu à la française, après plusieurs centaines d’essais désastreux.

— J’adorerais le goûter. Déclara la jeune adulte avec une insipidité que ses parents, perspicaces, traduisaient à juste titre comme un enthousiasme prononcé. Mais j’ai malheureusement beaucoup de travail. Ajouta-t-elle, presque dépitée par cette réalité.

En raccrochant le téléphone, Linda soupira longuement, espérant que le monde (et particulièrement la Russie) ne soit pas pris d’une folie soudaine contre le Pays des Mille Lacs d’ici son prochain appel. Retourner y vivre paisiblement était d’ailleurs une option trottant parfois dans sa tête. De cette manière, elle pourrait interagir plus souvent avec ses parents qu’elle respectait tant et qu’elle ne pourrait jamais assez remercier pour l’éducation respectable qu’ils lui avaient fourni. De même, elle pourrait s’adonner plus couramment à la chasse d’aurores boréales, activité qui avait bercé son enfance en Finlande. Malheureusement, après avoir découverte la face sombre de ce monde, Linda ne pouvait plus faire marche arrière. Tant que la Russie nourrissait des ambitions d’extension, la jeune femme devait continuer son combat silencieux...

Son entreprise ne lui ayant attribuée aucun travail officiel et officieux, Muguet était actuellement libre de recevoir n’importe quelle offre brumeuse de particuliers peu scrupuleux. Dans la mesure où la récompense était juteuse (que ce soit en termes d’informations ou d’argents), la jeune femme n’était étonnamment pas très regardante. Spetnaz et Geyster proposait moults activités ayant un rapport de près ou de loin avec la Russie. Une aubaine à ses yeux. Pour l’heure, il était impératif pour la finlandaise de rendre cette fichue moto louée avant la tombée de la nuit…


Il était encore inenvisageable à cette époque qu'elle ne songe à apporter des modifications à son corps. A l'heure où elle était encore bercée par un petit succès flatteur, elle ne ressentait pas le besoin d'acquérir une force drastique et immédiate, estimant qu'un entraînement long et rigoureux, couplé à un armement classique suffirait amplement à affirmer sa puissance. Seulement, le froid islandais et les monstruosités que cette terre avait tenté de cacher lui firent reconsidérer sa noble vision. Il était tout simplement des limites que son corps ne pourrait surmonter sans artifice contre-nature. Et dans ce monde pris d'une inarrêtable folie, la Scandinave ne pouvait tout simplement pas se permettre de stagner. Ainsi, s'était lancé la quête d'une force nouvelle s'alignant sur celle l'ayant brutalement marqué en Islande.

Grâce à son réseau, elle eut quelques temps plus tard écho d'un nouveau laboratoire capable de prodiges pour renforcer un corps humain. Et avec le sérieux qu'on lui connaissait, la Scandinave prit le temps nécessaire pour penser sa mutation. Aux yeux de la Nordique, elle se devait d'être meurtrière et discrète, tout en étant réalisable pour les scientifiques du Laboratoire. Aussi, après mûres recherches, elle proposa un modèle d'ongles militaires extensibles et rétractables capables d'empaler, qui reçut un feu vert. Dans le doute de potentielles cicatrices sur ses mains ou ses bras, elle proposa également des motifs de tatouages pour les cacher... Globalement, demander l'ajout de tatouages s'avéra être une sage décision, puisque la mutation engendra un noircissement non désiré de ses avant-bras. Un mal pour bien, qu'elle allait devoir gérer au quotidien.